Destinées entrecroisées…

 

 

Chapitre 1 : Evolutions…

 

Minas Tirith….

 

La blanche cité du Gondor brille doucement sous le soleil qui ruisselle en cette légère et chaude journée de printemps…la reine, qui fut dans une autre vie un membre du peuple des Elfes, est assise à l’ombre d’un arbre, occupant ses doigts à un vague travail d’aiguille. Ce jardin, elle l’apprécie beaucoup, cela lui rappelle les vertes forêts de la Lorien, où elle aimait tant marcher autrefois, et son époux, conscient de l’attachement des Elfes à la Nature, le lui a fait aménager derrière le palais, sur une partie de la grande esplanade…

Elle goûte le calme qu’il règne ici…mais qui est vite troublé par des cris, dont elle ne reconnaît que trop bien la source : ses enfants. Le Ciel a béni son union avec le roi Elessar de Gondor de cinq beaux enfants. Eladiel, l’aînée, lui ressemble à tel point qu’on lui donna à elle aussi le second prénom d’Undomiel, l’Etoile du Soir. Eldarion, le second et son seul fils, ressemble, lui, à son père, qui fut autrefois le Ranger Aragorn, bouillant et vaillant et ne ménageant jamais ses forces. C’est une qualité pour lui, qui deviendra roi à la suite de son père…

Ses trois dernières filles sont elles aussi de caractère fort différent. Eowyn, la seconde de ses filles, est féminine jusqu’au bout des ongles, au caractère doux et placide, alors que les deux jumelles, Elsea et Elya, ont une énergie débordante, n’hésitant jamais à provoquer leur frère aîné qui n’a pas besoin d’encouragements…justement, voit-elle en levant la tête, la source des hurlements et des rires est Eldarion, poursuivi par l’une des jumelles…

Arwen soupire avec indulgence : ses enfants sont débordants de vie, elle aurait mauvaise grâce à réfréner cela…pourtant, elle sait qu’ils deviennent grands, et que les filles partiront un jour, surtout Eladiel, qui a bientôt dix-sept ans…Eldarion, qui a quinze ans, a commencé à apprendre les bases de son futur métier de roi. Quant aux dernières, elles sont encore des enfants, Eowyn a douze ans et les jumelles dix seulement…

Le regard de la reine se perd dans le vague, et remonte dans le passé, en ce jour où elle avait choisi entre l’immortalité et une vie mortelle en compagnie de l’homme qu’elle aimait, après avoir eu la vision d’Eldarion ayant au cou son pendentif se jetant dans les bras de son père…Et pourtant, l’avance de Sauron avait failli la tuer, l’ensevelissant dans les ténèbres et la vidant de toute substance vitale, mais elle avait eu confiance, confiance en son choix jusqu’au bout, et l’avenir prouvait qu’elle avait eu raison…elle avait abandonné la grâce des Elfes pour vivre une vie de mortelle, mais ne le regrettait pas un seul instant.

Elle se leva et entra à l’intérieur du palais, et croisa son fils…ses cheveux noirs humides frisaient sur son front, et sa tunique blanche brodée de l’arbre du Gondor était poissée de sueur…pourtant, même ainsi, Arwen devait reconnaître que son fils avait une prestance particulière. Ses yeux sombres regardaient sa mère avec un soupçon d’ironie, le petit sourire qu’il tenait de son père. A son cou, l’Evenstar, donné par sa mère à son père il y avait fort longtemps, et dont son père lui avait fait cadeau à sa naissance…il l’avait toujours porté, estimant que cette relique avait un pouvoir particulier.

C’est alors qu’arrive un serviteur, qui s’incline bien bas et dit :

« Prince Eldarion, Sa Majesté vous attend dans sa pièce de travail… »

L’adolescent cessa de sourire, et se raidit imperceptiblement…en face du roi Elessar, son père, il doit se tenir, et il le sait. Il n’est plus un enfant, maintenant…

Arwen attend que le serviteur se retire et dit doucement à son fils :

« Change de vêtements, au moins… »

Ce n’était pas que le roi fût si sévère sur le décorum et l’étiquette, mais il y avait tout de même un minimum à respecter…Eldarion courut dans sa chambre, enfila vite une autre tunique et courut jusqu’à la salle de travail de son père.

Nul héraut à la porte, souvent Elessar aimait travailler seul, sans étiquette…Eldarion frappa, attendit l’assentiment de son père et entra.

Elessar, autrefois Aragorn, leva la tête et sourit à son fils…il avait peu changé depuis la Guerre de l’Anneau, seuls quelques traces blanches dans ses cheveux mi-longs et sa barbe attestaient du passage du temps sur lui…il indiqua un siège près de sa table et dit :

« Assieds-toi, mon fils… »

Eldarion obéit…le roi  reprit :

« Tu viens d’avoir quinze ans, il est temps maintenant pour toi de paraître à mes côtés lors des audiences et des cérémonies officielles en tant que prince héritier… »

Un grand vent de panique envahit alors l’adolescent…comment lui, qui se sentait encore enfant et voulait encore jouer avec ses sœurs, pouvait-il se sentir d’un coup adulte et avoir une partie du poids du pouvoir sur les épaules ? il acquiesça machinalement à ce que disait son père…

Aragorn regarda son fils, se doutant du tumulte qui se déroulait dans le secret de sa jeune tête…ses longues années chez les Elfes lui avaient permis de développer ce pouvoir de clairvoyance latent qu’il possédait, et qui lui permettait bien souvent de jauger et connaître les intentions de ses interlocuteurs, à plus forte raison quand il s’agissait de son propre fils.

Il lui tendit un verre de sa boisson favorite, à base de plantes diverses, et sourit encore plus largement à son fils avant de lui dire :

« Je sais ce que tu ressens…d’un jour à l’autre je suis devenu roi, personne ne m’y a préparé dans la tradition, même si Elrond l’a fait, mais d’une autre façon…je veux que tu sois prêt quand le temps sera venu pour moi, afin que tu n’aie pas à devoir apprendre dans l’urgence comme j’ai dû le faire… »

Tout cela était simplifié, en fait Aragorn avait toujours eu un talent de meneur d’hommes, qui lui avait servi en maintes occasions, mais gouverner un royaume n’était absolument pas la même chose que diriger une bande de Rangers. Cela il avait dû l’apprendre, et c’est ce qu’il voulait faire comprendre à son fils…

Eldarion sortit de l’entrevue un peu rasséréné, mais sa sœur aînée s’aperçut de son désarroi…dans un froissement de soie crème, Eladiel s’approcha de son frère cadet et dit :

« Pas facile d’être l’héritier, non ? »

Il regarda sa sœur et dit :

« Je devrai assister aux cérémonies et aux plaids avec notre père, à présent…mais je ne suis pas sûr d’être prêt… »

Eladiel posa sa main sur l’épaule de son frère et dit :

« On n’est jamais vraiment prêt à cela, mais tu apprendras… »

Eldarion trouva que c’était facile à dire, ce n’était pas elle qui se trouverait face aux ambassadeurs des alliés du Gondor la semaine suivante, mais il savait qu’Eladiel était de bon conseil, car très mûre. Il sourit à sa sœur aînée et dit :

« Après tout ce n’est pas plus mal… »

Et il rentra dans sa chambre…

Arwen savait bien évidemment ce que son mari voulait dire à leur fils, mais elle savait aussi que c’était nécessaire. Bien que doté de la vie très longue des Numénoriens, Elessar ne serait pas éternel, et il était bon qu’Eldarion se prépare dès à présent à assumer sa tâche future.

Le jour venu, la gorge serrée, Eldarion enfila sa tunique de velours noir et argent brodée d’un arbre blanc surmonté de sept étoiles, l’insigne de sa famille, et se regarda dans son miroir…c’est alors qu’on frappa, et que sa mère entra, suivie d’une servante qui portait quelque chose sur un coussin de velours rouge.

Arwen regarda son fils, admira sa prestance quelques instants et dit :

« Jusque-là, tu as toujours assisté aux cérémonies tête nue, mais tu ne le peux plus maintenant, tu es le prince héritier, aussi ai-je décidé de te donner quelque chose qui appartient à ma famille depuis des générations… »

Elle fit signe à la servante d’approcher, et Eldarion distingua sur le coussin de velours une couronne soigneusement posée, et qui sans doute possible était de manufacture elfe tant dans son élégance que par la finesse du métal et la gemme qui était sertie en son centre.

Arwen la prit et dit :

« Elle appartenait à ton grand-père, le Seigneur Elrond, et faisait partie de mes cadeaux de mariage…elle te revient maintenant, il aurait été fier de te voir la porter… »

Et elle la posa sur la tête de son fils…Eldarion jeta un regard au miroir près de lui : se pouvait-il que ce jeune homme noble qui le regardait gravement soit lui-même ?

Arwen sourit à son fils et dit :

« Tu devrais rejoindre ton père, à présent…tes sœurs et moi irons plus tard… »

Et elle sortit de la pièce pour qu’il ne voie pas les larmes de fierté qui coulaient sur ses joues…elle se dirigea vers la chambre de ses filles, où elle trouva les jumelles en train de se faire poursuivre par leurs gouvernantes qui tentaient de finir de les habiller de leurs robes bleu ciel et bleu foncé. Elles couraient et sautaient en tout sens, si bien qu’il était impossible aux servantes de leur passer le dessus de leur robe. Arwen intervint, et bientôt les jumelles, qui craignaient fort leur mère, se retrouvèrent habillées, coiffées et leur petit diadème posé sur leur front sans plus faire d’histoires…

Pour ses deux autres filles, plus âgées, Arwen ne se faisait pas de souci, Eladiel et Eowyn devaient être prêtes depuis bien longtemps. Autant Eowyn était féminine et presque perfectionniste, Eladiel, elle, n’accordait pas la même importance aux futilités, elle s’habillait et s’ornait toujours très sobrement, juste ce qu’il fallait, au contraire de sa sœur qui aurait mis d’un coup tous ses bijoux si elle l’avait pu…

En effet, quand elle les rejoignit, elles étaient prêtes et l’attendaient…toutes deux avaient revêtu des robes et des ornements propres à leur nature, Eladiel en simple soie beige et diadème d’argent qui mettait en valeur ses cheveux de jais et sa cadette habillée de cendal blanc, ornée de bracelets, bagues mais d’un seul pendentif représentant l’arbre de Gondor…sa tête était ceinte d’un diadème d’or…

Eowyn demanda en souriant à sa mère :

« Les jumelles ont encore posé du souci ? »

Arwen dit :

« Ne te moque pas de tes sœurs ! toi aussi tu étais turbulente quand tu étais plus jeune, je ne compte plus le nombre de robes que j’ai dû rebroder pour en cacher les coutures supplémentaires… »

Eladiel, elle, resta neutre mais fut prise d’une furieuse envie de rire…Arwen souleva avec élégance l’un des pans de sa robe mauve, redressa le diadème d’Eladiel et s’en fut, suivie de sa progéniture. Aux jumelles qui l’attendaient dans leur chambre, cette fois dûment calmées, habillées et parées, elle dit :

« C’est une cérémonie très importante, de surcroît la première à laquelle vous participez, alors vous devez nous montrer que vous avez l’âge de raison… »

Ceci dit sur un ton non autoritaire mais suffisamment sérieux pour bien leur faire comprendre qu’elle ne tolérerait pas la moindre incartade de leur part. Arwen avait toujours été affectueuse avec ses enfants, mais il y avait certaines choses qu’elle ne tolérait pas, et ils le savaient. Ils étaient princes et princesses, fils et filles de rois, et il fallait qu’ils tiennent leur rang…cependant, en dehors de leurs devoirs, elle les laissait plus ou moins faire ce qu’il voulaient, même si elle accordait le plus grand soin à leur éducation.

Suivie de ses filles, elle gagna la grande salle où allait commencer la réception des ambassadeurs. Le héraut les annonça à la petite porte de la salle annexe où se trouvaient encore Elessar et Eldarion.

« Sa Majesté la reine Arwen, Leurs Altesses les princesses Eladiel Undomiel, Eowyn Gilraen, Elsea Celebrian et Elya Galadriel… »

Les princesses n’osèrent pas montrer leur aversion pour leur titre complet, pour tous ces prénoms qu’on leur avait donnés selon la tradition, et restèrent droites alors que leur père disait en leur embrassant chacune le front:

« Vous êtes toutes ravissantes, mes filles… »

Derrière son père, Eldarion ne disait rien, plongé dans ses pensées…Elessar prit la main de son épouse, et lui sourit, il n’avait pas besoin de lui parler, tout l’amour qu’il ressentait pour elle transparaissait dans ses yeux.

Il se tourna ensuite vers son fils et dit, admirant d’un œil sa prestance si semblable à la sienne :

« Allons, courage, Eldarion…je sais que tu es parfaitement capable de faire ce que je te demande… »

Un bruit de porte, et entra Faramir, Intendant du royaume, qui assistait lui aussi à la cérémonie…Elessar l’étreignit et lui dit :

« Tu es venu seul ? »

Faramir se débarrassa de son manteau poussiéreux et dit :

« Oui, Eowyn était occupée et les enfants avaient leurs cours… »

Elessar esquissa une petit grimace et répondit :

« Il y a mieux comme cérémonie pour des enfants… »

Faramir et Eowyn avaient quatre enfants, mais, même si leur habitation était peu éloignée de Minas Tirith, les deux familles se voyaient peu, Faramir ne venant souvent au palais que pour les devoirs de sa charge. Le reste du temps, il était bien occupé depuis des années à reconstruire l’Ithilien et réhabiliter Minas Ithil, ancienne Minas Morgul. Eowyn remplissait ses devoirs d’épouse et de mère à ses côtés.

Faramir s’inclina devant la famille royale et dit :

« Prince Eldarion, je suis heureux de voir que maintenant vous accompagnez votre père, et je suis sûr que vous lui ferez honneur… »

Eldarion, raide de peur, parvint juste à incliner la tête et à sourire autant qu’il le put…

Finalement, la cérémonie ne fut pas aussi terrible qu’Eldarion le pensait…il lui suffisait juste d’incliner la tête et de sourire à chaque ambassadeur…derrière lui, ses sœurs les plus jeunes se tenaient tranquilles, comme leur mère le leur avait bien dit, souriantes et affables, de vraies princesses…

Eldarion sortit de l’épreuve haut la main, mais épuisé…Elessar lui tapota gentiment l’épaule en disant :

« Très bien, mon fils, très bien… »

Eldarion sourit timidement à son père, alors que sa mère arrivait…Arwen sourit à son fils avec fierté, et lui dit :

« Va te reposer, tu l’as gagné… »

Eldarion sortit de la pièce, ainsi que ses sœurs…Arwen dit alors à son mari :

« J’ai cru te revoir quand nous nous sommes connus, à Imladris…si calme, si posé, avec une telle prestance ! »

Elessar s’approcha de son épouse et, pour toute réponse, l’embrassa…

 

Emyn Arnen, maison du Prince d’Ithilien…

 

Faramir, descendant de cheval, le confia à un palefrenier. Ce coursier, qui avait pour nom Wildrun, était un cadeau de son beau-frère Eomer, roi de Rohan, pour ses épousailles…

Il grimpa les escaliers et entra dans le hall, où l’un de ses serviteurs prit son manteau, puis il se rendit dans la grande salle…son épouse, Eowyn, s’y trouvait, brodant. Les flammes se reflétaient dans ses cheveux blonds, son visage attentif et sa robe blanche. Elle n’avait guère changé depuis la Guerre de l’Anneau, sa silhouette était toujours aussi mince malgré la naissance de quatre enfants et son caractère, loin de se tempérer, s’était affermi avec le temps. Pourtant, Eowyn la guerrière avait cessé de vouloir plaies et bosses pour enfin aimer un homme qui le lui rendait bien, et elle avait développé un certain don pour la guérison.

Voyant arriver son mari, elle leva la tête de son ouvrage et lui sourit :

« Déjà de retour ? je pensais que tu resterais plus longtemps…

-On n’avait pas besoin de moi au-delà de la cérémonie…où sont les enfants ?

-Aragorn, Eolain et Arwen lisent, Boromir est au bain… »

Faramir sourit…ses enfants étaient l’une des choses les plus importantes de sa vie, et il avait résolu, le jour même où son fils aîné était né, d’aimer ses enfants de façon égale, chose que son propre père n’avait pas su faire en privilégiant son aîné, Boromir.

« Papa ! »

Il n’eut que le temps de se baisser pour recevoir une tornade blanche dans ses bras…il s’agissait de son fils cadet, Boromir Eomer, avec sa jolie frimousse, ses yeux noisette et ses boucles châtain clair, enveloppé dans une serviette.

L’enfant se blottit contre son père et lui dit :

« Je me suis ennuyé de toi, papa… »

Faramir serra son fils dans ses bras et lui dit en soupirant :

« Tu es encore sorti du bain tout seul…va vite t’habiller ou tu vas prendre froid… »

Il le confia à sa gouvernante, et regarda son épouse avec un demi-sourire…

« Il te ressemble vraiment, il fait les choses même quand on les lui interdit… »

Eowyn posa son ouvrage et dit :

« Sortir du bain seul ou prendre part à une bataille n’est absolument pas la même chose, mon cher époux… »

Elle se leva et s’approcha de lui, un petit sourire aux lèvres…

« Si je n’avais pas pris part à cette bataille, je n’aurais pas été blessée et nous ne nous serions jamais rencontrés… »

Faramir la prit dans ses bras et l’embrassa tendrement, puis dit :

«Qu’est-ce que j’aurais manqué là ! »

« Et pourtant, pensa-t-il, tout n’avait pas si bien commencé… »            

 

Dix-huit ans plus tôt, Minas Tirith…

 

Le soleil réveille Faramir, qui ne parvient même pas à ouvrir les yeux, le crâne plongé dans le brouillard….un mal de tête implacable lui martèle les tempes, et il ne sait même plus comment il a réussi à venir se coucher…

Il parvient enfin à ouvrir les yeux, avec grand effort, mais ce qu’il voit le réveille instantanément…près de lui dort paisiblement une femme, et pas n’importe quelle femme : celle qu’il aime entre toutes, Eowyn, princesse de Rohan, dont la peau blanche se démarque à peine du drap....

Comment a-t-il pu ?il est vrai que tous deux avaient bien bu hier soir pour fêter les épousailles du roi Elessar et de la reine Arwen, qui viennent d’avoir lieu…il soulève le drap, et y voit la confirmation de ses craintes sous forme d’une petite tache de sang : la blanche vierge des Rohirrim est une femme à présent.

Justement, elle s’éveille, et ses yeux s’écarquillent d’effroi alors qu’elle comprend progressivement ce qu’il vient de se passer…et pourtant elle reste digne, elle ne pleure ni ne crie…

Faramir dit alors, avec grand effort car il se sent terriblement honteux :

« Si vous ne vouliez plus m’épouser je le comprendrais… »

Mais Eowyn secoue la tête et répond d’une voix qu’elle espère assurée :

« Ce n’est pas votre faute, c’est la nôtre, nous avions trop bu…mais il faudra prendre garde que mon frère l’ignore… »

Eomer aimait beaucoup sa sœur et aurait sans doute mal pris la petite ‘avance’ sur la nuit de noces, fût-elle justifiée par la quantité d’alcool absorbée…

Eowyn se lève et, discrètement, rejoint sa chambre, sans toujours avoir le moindre souvenir de ce qui s’est passé à part un sévère mal de tête…pourtant, malgré cela, elle aime toujours Faramir, et ne lui en veut pas…malgré le brouillard qui règne encore dans sa tête en ce qui concerne cette nuit-là, elle a l’impression qu’elle ne lui a pas résisté beaucoup, que son être profond le voulait…

Cependant, elle doit repartir en Rohan pour les funérailles du roi Theoden, accompagnant son frère, mais elle reviendra tout de suite après pour préparer la cérémonie de mariage gondorienne qui aurait lieu dans quelques mois…

Eowyn revint deux semaines après donc auprès de la reine Arwen, et l’aida à réorganiser le palais…Faramir fut envoyé en mission en Ithilien pour tout reconstruire là-bas, et elle se retrouva donc seule, dame de compagnie de la reine…

Cet après-midi là, un mois plus tard, toutes deux brodent des linges quand la reine vacille, puis tombe de sa chaise…Eowyn se précipite, la relève et appelle une servante en lui disant d’aller quérir un médecin…puis elle soulève Arwen et l’emmène jusqu’à ses appartements, où elle l’allonge sur son lit.

La servante revient avec le magicien Gandalf, qui par chance n’est pas encore reparti…il examine la reine un moment et dit avec un sourire :

« La lignée d’Isildur va perdurer, la reine est enceinte… »

Arwen sourit, et, dans un élan de joie, embrassa Eowyn et dit :

« J’espère tellement que ce sera un fils ! »

Il reste encore à le dire à l’heureux père, qui est allé superviser la reconstruction d’Osgiliath…laissant Arwen se reposer, Eowyn s’en va marcher un peu dans le palais…elle laisse ses questions remonter à la surface :pourra-t-elle avoir des enfants, être une bonne épouse ? cela elle l’ignore, jamais elle n’y a pensé jusque-là…et pourtant, épouse elle le sera bientôt…

Aragorn, alias Elessar, finit par rentrer le soir, épuisé et poussiéreux…Gandalf l’attendait, avec un demi-sourire. Elessar, surpris, enleva son manteau et demanda :

« Où est Arwen ? »

Car elle venait tous les soirs l’accueillir, et il était inquiet de ne pas la voir là…Gandalf sourit encore plus largement et dit de son ton sentencieux habituel :

« Roi Elessar, Père de ton royaume, une nouvelle responsabilité paternelle va bientôt t’incomber… »

Elessar, ne comprenant pas, reste perplexe un bon moment…puis son sourire s’élargit au fur et à mesure qu’il comprend…il demande alors :

« Quand ? »

Gandalf sourit alors et continua :

« Je crois que des félicitations s’imposent, Majesté…j’ai examiné la reine, qui s’est évanouie cet après-midi, elle va bien et l’enfant aussi, mais je ne peux dire encore quand il naîtra, il y a encore trop d’inconnues… »

Elessar accuse lentement le coup, il ne peut croire encore qu’il va avoir un enfant, un héritier de son sang…il demande encore :

« Sera-ce un fils ? »

Gandalf secoue la tête :

« Cela je ne peux le dire….je ne peux lever le voile de l’avenir pour une telle chose… »

Elessar serre la main de son vieil ami, puis, réalisant enfin, prend la direction de la chambre conjugale au pas de course…Arwen est encore couchée sur son lit, veillée par Eowyn et quelques servantes…Elessar, tout sourire, lui prend la main et l’embrasse, puis il la regarde longuement et finit par lui dire en elfique :

« Tu me fais là un merveilleux cadeau… »

Et pourtant tout n’était pas drôle pour la pauvre Arwen qui eut à subir des nausées matinales interminables, des sautes d’humeur et pensa parfois qu’être mortelle n’était pas si évident que cela…

Tout le monde, occupé à prendre soin de la reine, ne prêta pas attention à certains symptômes identiques qui apparurent chez Eowyn presque au même moment…Eowyn sut bien les cacher, mais pas assez pour Arwen, qui en avait maintenant l’expérience…

La reine voyait bien le désespoir s’installer chez Eowyn au fur et à mesure des jours qui s’écoulaient…et Faramir qui ne revenait pas…

La reine résolut alors d’en parler à la princesse de Rohan, ne supportant plus de la voir ainsi, heureuse en apparence mais se débattant avec un terrible poids…elle la prit à part dans une pièce fermée et lui dit :

« Je sais ce qui vous arrive, Eowyn, vous ne pouvez plus rester seule avec votre secret…est-ce Faramir ? »

Eowyn, au bord des larmes, releva cependant la tête et répondit :

« Oui, c’est lui…je ne sais pas comment j’ai pu, mais nous avions bu et…c’est arrivé… »

Elle ne pouvait s’apitoyer sur elle-même, cela lui était impossible…elle avait toujours vécu la tête haute, et ne voulait pas s’abaisser…Arwen lui posa la main sur l’épaule et dit :

« Nous avancerons la date du mariage gondorien, et tout ira bien… »

Eowyn dit :

« Et s’il ne veut plus de moi ainsi ? »

Arwen sourit et répondit :

« Comment, ainsi ? la maternité vous épanouit, regardez-vous, vous êtes éclatante !et Faramir vous aime vraiment, cela se voit … »

Eowyn alors résolut de reprendre confiance, et, pour la première fois, posa la main sur son ventre où dormait l’héritier de la charge d’Intendant de Gondor…

Pourtant, les semaines avançant, elle tomba dans une sorte de mélancolie, sortant peu de sa chambre où elle restait tout le jour à broder et coudre sa layette…mais elle maigrissait, mangeant juste ce qu’il fallait pour soutenir son enfant, et Arwen s’inquiéta. Pourtant, Eowyn lui répondait invariablement qu’elle allait bien, bien que la reine devinât ce qui l’agitait : Faramir qui ne revenait pas…Que ferait-elle s’il ne voulait pas d’elle avec l’enfant ? elle ne pouvait retourner en Rohan, Eomer, malgré tout l’affection qu’il avait pour elle, ne l’eût pas acceptée déshonorée. Il ne lui restait que peu de solutions, que la mort, en dernier recours…

Arwen décida d’intervenir, et, pour cela, il lui fallait l’aide de son époux qui seul avait l’autorité pour rappeler Faramir…un soir, alors qu’ils étaient couchés, en toute intimité, elle lui dit :

« J’ai besoin de ton aide, mon époux… »

Elessar, surpris, demanda :

« Que se passe-t-il, Arwen ? tu as l’air bien soucieuse tout à coup… est-ce ta grossesse qui te soucie ? »

Arwen secoua la tête et dit :

« Non, mais j’ai une faveur à te demander : il faut que Faramir revienne ici le plus vite possible… »

Elessar, encore plus interloqué, dit alors :

« Je ne vois pas le rapport avec Faramir… »

Alors Arwen dit :

« Eowyn est enceinte, et de lui, il faut qu’il revienne… »

Elessar sembla encore plus interloqué, et objecta :

« Mais ne sont-ils pas fiancés ?

-Oui, ils le sont, mais je doute qu’Eomer soit heureux de voir sa sœur enceinte le jour de son mariage…Eowyn semble lentement se laisser mourir, ne vivant plus que pour son enfant, il faut que Faramir revienne… »

Alors Elessar comprit, se leva et passa dans son bureau…Une dizaine de minutes plus tard, il revint et annonça :

« Un messager vient de partir le chercher, il sera là demain matin… on ne peut pas laisser Eowyn continuer ainsi…Il est le seul qui puisse l’arrêter, qui l’aime assez pour cela… »

Effectivement, l’Intendant de Gondor se présenta au palais le lendemain matin, se demandant bien pourquoi son seigneur et suzerain le rappelait. Arwen l’attendait, le salua et, sans un mot, l’emmena jusqu’à la chambre d’Eowyn. Elle ouvrit la porte et dit :

« Aidez-la, vous êtes le seul à pouvoir le faire… »

Faramir inclina la tête et entra dans la chambre…Eowyn était assise devant la fenêtre, elle brodait un bavoir de jolies fleurs vertes et bleues. Pourtant, malgré sa joie de la voir, il ressentit une grande mélancolie en la regardant…

Il s’inclina et dit :

« Je vous salue, belle dame de Rohan… »

Mais Eowyn ne lui répondit pas…sous le choc de le voir, elle en était bien incapable…

Faramir l’observa, elle avait tant maigri que son teint blanc en paraissait éthéré, et il fut inquiet soudainement…

C’est alors qu’il fit attention à ce qu’elle brodait, puis remarqua la rondeur de sa taille, sous ses mains habiles aussi bien à l’épée qu’à la broderie…c’est alors qu’il comprit tout…

Il se précipita à ses genoux, posa avec tendresse sa main rude de guerrier sur l’étoffe fine de sa robe sous laquelle palpitait une nouvelle vie, et dit doucement :

« Voulez-vous être la Dame de ma maison, le soleil de mon pays et de mon existence ? Voulez-vous encore de moi pour votre époux après ma lâcheté ? »

Lui qui était si timide avec les femmes habituellement était cette fois sûr de lui…il savait qu’il ne pourrait vivre sans elle…

Alors Eowyn, sous le poids de l’émotion, défaillit…il la souleva doucement, comme si elle n’eût été qu’un fétu de paille, et la déposa doucement sur son lit…puis il lui caressa doucement le front, attendant qu’elle se réveille.

Eowyn ouvrit alors les yeux, et les posa sur lui avant d’éclater en sanglots…Faramir dit alors, ayant compris ce qui l’avait tant souciée :

« Comment avez-vous pu imaginer que je ne veuille plus de vous, vous que j’aime de toute mon âme ? je suis tellement fier que vous portiez mon enfant ! »

Alors Eowyn se calma, l’ombre de ses craintes s’éloigna d’elle et elle eut un pauvre petit sourire, toujours sans pouvoir prononcer un mot…Faramir sourit lui aussi et dit :

« Nous allons nous marier le plus vite possible, puis nous partirons pour le Rohan…tout doit être prêt là-bas… »

Puis tous deux se regardèrent longuement, et, sans un mot, Faramir parvint à saisir toute la quintessence des craintes qu’avait eues Eowyn…il la serra dans ses bras et lui dit :

« A jamais je vous protègerai de l’ombre et des soucis, et nous vivrons dans cette verte terre d’Ithilien qui n’attend que vous pour prospérer et enfin reverdir… »

Eowyn se laissa enfin aller, et s’endormit instantanément, brisée par l’émotion et par les soucis qu’elle avait accumulés…Faramir la garda un moment dans ses bras, puis la reposa avec mille précautions avant de tirer les rideaux et de sortir de la chambre et demandant bien à sa servante qu’elle ne la dérange pas…

A peine se retrouva-t-il seul qu’il se sentit terriblement faible, tellement heureux qu’il aurait pu hurler mais aussi tellement honteux de l’avoir laissée dans une telle situation ! Eowyn avait un fort caractère, et il savait qu’elle aurait eu le cran de se donner la mort, elle qui n’avait jamais reculé devant personne, même devant le Roi-Sorcier d’Angmar. Comment n’avait-il pas pu deviner que leur incartade aurait ce genre de conséquences ?

Elessar l’attendait, et lui dit :

« Venez avec moi, je vois que vous avez besoin d’un remontant… »

Sans dire un mot, Faramir le suivit jusqu’à son bureau, et s’assit dans le siège qu’il lui désigna…Elessar lui tendit un verre et demanda :

« Que comptez-vous faire ? »

Faramir leva les yeux sur son roi et dit :

« Nous allons nous marier ici dès qu’Eowyn se sentira mieux, puis nous irons en Rohan, comme il était prévu, mais à petite allure, je ne veux pas mettre en péril ni sa santé ni celle du bébé… »

Faramir parlait calmement, posément, et Elessar comprit qu’une fois de plus son épouse avait vu juste. Faramir était parfaitement prêt à fonder une famille et à l’assumer. Déjà son esprit avait dépassé la surprise de la découverte de l’état d’Eowyn pour voir plus loin…pourtant, Elessar devinait combien tout cela lui avait coûté, il était assez timide devant les femmes et paraître sûr de lui devant Eowyn avait dû énormément lui demander de force…

Elessar dit alors :

« Je sais que tu rendras heureuse la princesse Eowyn… »

Faramir demanda alors :

« Je serais heureux si vous acceptiez de bénir notre mariage, Majesté… »

Elessar répondit en souriant :

« C’est moi qui en serais honoré, d’unir ainsi une si belle dame et un si vaillant guerrier auquel notre royaume doit tant…retourne auprès d’elle à présent, veille sur elle désormais… »

Eowyn dormit encore quelques heures, veillée par Faramir qui eut là tout loisir encore de réfléchir…quand elle ouvrit les yeux, il lui sourit et lui demanda :

« Vous vous sentez mieux ? »

Eowyn hocha la tête, et sourit en retour…

 

            Faramir interrompit là sa rêverie…il avait failli perdre Eowyn à cette époque, et ne se l’était jamais vraiment pardonné. Ce sentiment était revenu à chaque fois qu’elle mettait au monde l’un de leurs enfants en  risquant sa vie.

Eowyn remarqua l’air sombre de son époux et demanda :

« Tu penses encore à cette époque ? le passé est le passé, tout est terminé, alors cesse de te miner… »

Alors entrèrent dans la pièce les trois enfants les plus âgés du couple…Aragorn Theoden, l’aîné, était celui que portait Eowyn quand ils s’étaient mariés. Le roi Elessar était son parrain, et on lui avait donné son nom, ainsi que celui du roi Theoden, l’oncle d’Eowyn, qui était mort pendant la Guerre de l’Anneau. Châtain très clair aux yeux bleus, il ressemblait à son père. La seconde, Eolain, avait de longs cheveux blonds ondulés qu’elle attachait souvent d’un ruban bleu, et de grands yeux gris, et sa conformation générale se rattachait plutôt aux origines de sa mère. Elle en avait aussi hérité le caractère, elle excellait à cheval et à toutes sortes de combats. La seconde fille, Arwen, avait un physique un peu plus doux avec ses cheveux châtain clair ondulés et ses yeux bleus, mais elle n’en était pas pour autant plus calme que sa sœur aînée dont, cependant, elle ne partageait pas le goût des choses guerrières. Son caractère à elle s’exprimait dans ses opinions très tranchées, nul n’aurait pu lui faire démordre de quelque chose…

Les trois premiers enfants du couple étaient d’âge identique avec les trois premiers enfants du couple royal, Eladiel, Eldarion et Eowyn. Boromir Eomer, le dernier-né, n’avait que sept ans, pour la bonne raison qu’Eowyn avait eu besoin d’un long repos après la naissance de sa deuxième fille, qui avait failli tourner à la catastrophe.

Faramir sourit à ses enfants et leur demanda :

« Avez-vous bien étudié ? »

Tous trois acquiescèrent en chœur…il dit alors :

« Demain matin, Aragorn m’accompagnera au palais…Vous, les filles, vous aiderez votre mère à préparer la réception pour l’arrivée de votre oncle… »

Arwen et Eolain se regardèrent et sourirent. Elles adoraient leur oncle Eomer, leur tante Lothiriel et leur cousin Elfwine, qui avait l’âge d’Arwen. Il avait depuis bien longtemps été question d’une visite d’Eomer, mais celui-ci n’avait annoncé sa venue que la veille, il s’arrêterait en Ithilien sur la route du palais. 

Pourtant, en digne fille de sa mère, Eolain détestait les mondanités, la vie de palais, et n’était heureuse que dehors, à cheval ou une épée à la main. Elewinë lui tenait particulièrement à cœur car elle appartenait à sa mère quand elle était jeune fille et elle lui en avait fait cadeau pour son quatorzième anniversaire…

 

Palais de Minas Tirith, quelques mois plus tard…

 

Eldarion, penché sur son parchemin, travaille sur un des devoirs que lui ont donné ses précepteurs…il est tard, et pourtant il ne peut s’arrêter avant d’avoir fini.

Il sait que son père travaille tous les soirs jusqu’à une heure avancée, et refuse de se laisser abattre…pourtant, il se frotte les yeux, qui se ferment tout seuls. Au milieu d’une phrase, il finit par s’endormir, couché sur son devoir…

Arwen arrive alors, et soupire en voyant son fils ainsi, épuisé…depuis qu’il doit assurer ses devoirs de prince héritier, Eldarion dort peu, et accumule beaucoup de stress et de tensions. Il doit en plus continuer son éducation, et prend sur ses loisirs et ses temps de repos pour la mener à bien.

Arwen, malgré son inquiétude, sourit…Eldarion ressemble tellement à son père, surtout quand il dort…cela lui fait peine de le voir ainsi s’épuiser, mais il doit apprendre, cela elle le sait et ne peut aller contre. Pourtant, elle se promit de glisser un mot à ce sujet à son époux…

 

Palais de Faramir, Ithilien

 

« Ne bouge pas tout le temps, si tu veux que je puisse placer les épingles… »

Eolain, renfrognée, obéit cependant à sa mère…toutes deux, aidées d’une servante, terminent de mettre la dernière main à sa robe de débutante…Dans quelques mois, dès qu’elle aura seize ans, elle devra faire son début dans le monde, au bal de Minas Tirith.

Eolain déteste cela, elle ne veut pas être une jeune fille comme les autres, elle ne rêve que faits d’armes et chevauchées. Eowyn soupire : sa fille lui ressemble tellement !elle était comme elle autrefois, voyant les hommes partir à la guerre et voulant faire comme eux, frustrée de devoir rester au palais…elle avait outrepassé l’interdiction, mais la fin justifiait les moyens. Leur monde était prêt à basculer…et elle voulait mourir, aussi, désespérée parce qu’Aragorn l’avait rejetée…

Et voilà qu’Eolain veut elle aussi s’affranchir du carcan…mais, comme elle, elle est de trop haut lignage pour faire ce qu’elle veut, elle est princesse d’Ithilien et son rôle sera d’être mariée dès qu’elle en aura l’âge et de faire honneur à son mari.

Pourtant, sa fille est belle, blonde, élancée, mais aussi cultivée et intelligente, n’importe quel homme serait honoré de l’avoir pour épouse. Bon, il devrait aussi s’accommoder d’avoir une femme cavalière et combattante…

Eowyn renvoie la servante et dit à sa fille :

« Cesse de bouder, tu sais bien que c’est la tradition… »

Eolain regarde sa mère et dit :

« Je ne veux pas, mère, je ne veux pas être exhibée pour ensuite être vendue à quelque seigneur… »

Eowyn soupire et répond :

« Allons, crois-tu que ton père agirait ainsi ? de plus, tu es encore trop jeune…je sais que cela te pèse, mais tu dois penser à ton rang… »

Eolain saute à bas de la chaise en tenant sa robe, et attrape son épée en disant :

« Si un homme me veut, il devra d’abord me vaincre ! »

« Ai-je vraiment été aussi obstinée, autrefois ? », se demande Eowyn. Pourtant sa fille est ravissante, dans cette robe de simple cendal blanc orné de dentelles…

Eowyn dit alors, un voile de tristesse sur le visage

« Le temps n’est plus des combats, ma fille…j’en ai vu assez pour te dire que c’est vraiment horrible, au-delà de ce que tu peux imaginer…des personnes chères sont mortes pour que notre monde survive et que vous puissiez vivre en paix, alors repose cette épée et accepte ton destin… »

Mais comment expliquer à cette adolescente pas encore tout à fait sortie de l’enfance toutes ces choses qui se sont passées avant sa naissance, en ces périodes sombres où l’Ombre avait failli triompher et où elle était venue se heurter à la dernière alliance des Hommes et des peuples de la Terre du Milieu résolus à lutter contre elle ? Non, Eowyn ne peut en parler, Eolain n’est pas encore prête à l’entendre…

Eolain baisse l’épée qu’elle tient en main, obéissant à sa mère…

            Un peu plus tard, alors que Faramir est assis sur le lit, lisant un document, et qu’elle-même est en train de brosser ses cheveux devant sa coiffeuse, elle se tourne vers lui et dit :

« J’ai une faveur à te demander … »

Faramir reste interloqué : jamais elle n’a eu à lui demander quoi que ce soit en dix-huit ans de mariage sur ce ton si grave…il fait signe de la tête, et Eowyn continue :

« Jure-moi que tu ne marieras pas de force Eolain… »

Encore plus interloqué, Faramir demande :

« Mais pourquoi ferais-je une chose pareille ?et puis je sais très bien que, si je le voulais, Eolain serait capable du pire. Pour cela c’est tout à fait toi… »

Eowyn se lève et vient s’asseoir près de son mari :

« Elle m’inquiète de plus en plus… »

Faramir, tendrement, la prend dans ses bras et dit doucement :

« Allons, allons, cesse de te faire du souci…Eolain fera ce qu’elle voudra de sa vie… »

Mais Eowyn sait que ce ne sera pas si facile…

 

Palais de Minas Tirith…

 

Arwen et Elessar sont en train de prendre leur petit-déjeuner…tout à l’heure, Eldarion les rejoindra pour le plaid hebdomadaire, mais sa mère a demandé qu’on le laissât dormir le plus longtemps possible, il en a besoin…

Arwen dit alors :

« Que penses-tu d’Eldarion en ce moment ? »

Elessar répond :

« Je suis étonné, à vrai dire…il semble très bien s’adapter à sa nouvelle condition, et maintenant je suis sûr qu’il sera un roi excellent… »

Il a beau être clairvoyant, il ne peut voir ce que son fils garde soigneusement en lui…Arwen continue :

« Il s’épuise, Elessar, il faut que tu lui permette de se reposer un peu… »

En fait, Elessar s’en doute depuis un moment, il en déjà parlé à son fils mais Eldarion lui a dit qu’il allait bien…pourtant, ce que vient de lui dire son épouse confirme ses craintes…

            Eldarion dort encore, mais s’agite en tous sens dans son lit, en proie à un rêve horrible…il voit son père sur son trône, poisseux de sang, et lui-même, tenant Anduril sanglante en main. Son père l’invective :

« Tu n’as pas su me protéger, mon fils, tu n’as pas su résister et tu es indigne de me succéder… »

Il veut répondre, mais quelque chose l’en empêche…c’est alors qu’il se met à hurler, hurler sa terreur, sa honte…

« Hé, réveille-toi, réveille-toi !!! »

C’est sa sœur aînée Eladiel qui le secoue doucement, encore habillée de sa chemise de nuit blanche…elle regarde son frère qui reprend lentement ses esprits, et lui dit :

« Cela n’arrivera pas, mon frère…tu succèderas à notre père quand le temps sera venu… »

Eldarion sait qu’Eladiel a certains pouvoirs de prescience, qui lui viennent à la fois de la famille de son père et de celle de sa mère…mais ce qu’il vient de vivre en rêve l’a profondément perturbé, et réveillé ses hésitations internes : succèdera-t-il à son père ? en sera-t-il digne ?

Eldarion sourit doucement à sa sœur, qui se retourne vers lui avant de sortir…que sait-elle donc ? il regarde l’heure, et, se réveillant tout à fait, enfile sa tunique de cérémonie et fait un rapide brin de toilette avant de rejoindre ses parents au petit déjeuner…

Elessar et Arwen sourient à leur fils, mais remarquent immédiatement qu’il s’est passé quelque chose…pourtant, ils ne lui posent pas la question, il n’aurait pas la force de répondre…Eldarion s’assied, boit un peu de jus d’orange et mange, toujours sans dire un mot.

Puis Arwen se lève, embrasse son fils sur le front et sort de la pièce…Elessar demande alors à Eldarion :

« tu es sûr que tout va bien ? »

L’adolescent sourit à son père et dit :

« Mais oui, pourquoi ? »

Le roi continue :

« Tu me sembles un peu surchargé en ce moment…tu dors bien ? »

Eldarion en vint à maudire la clairvoyance de son père…il répondit, l’air de rien :

« Mais oui…et c’est toi qui me dis cela, père, toi qui travailles si tard ! »

Alors Elessar comprend ce qui pousse son fils à agir ainsi…il lui répond alors :

« Mais moi je suis roi, alors que toi tu ne l’es pas encore, Eldarion…je refuse que tu t’épuises ainsi, car je sais que je t’impose déjà suffisamment. Je parlerai à tes professeurs… »

Eldarion voudrait crier à son père qu’il veut pouvoir être digne de lui un jour et que c’est pour cela qu’il agit ainsi, mais il ne peut le lui dire…

Elessar se lève alors et dit :

« Allons-y… »

Les plaids sont réservés aux gens du peuple qui peuvent venir exposer leurs griefs et leurs problèmes…de plus, le roi peut faire office de juge et trancher un litige. Elessar estime que cela forme une partie très importante de son métier de roi, aussi a-t-il décidé qu’il serait bon qu’Eldarion y assiste…

Il y a peu d’étiquette pour les plaids, aussi Elessar et son fils s’y rendent-ils tête nue, seulement vêtus de leur tunique de velours noir et argent aux armes du Gondor…Le héraut annonce :

« Sa Majesté Elessar, Roi de Gondor et d’Arnor, et Son Altesse le prince Eldarion !! »

Le père et le fils s’avancent, majestueux…leur proximité accentue leur ressemblance…Eldarion prend place sur le siège qui a été préparé pour lui…

Dans les moments qui vont suivre, Elessar peut mesurer l’extraordinaire adaptabilité de son fils : Eldarion révèle la capacité de mettre ses interlocuteurs à l’aise, et trouve des solutions à des problèmes auxquels lui-même n’aurait pas pensé…

« Je dois vieillir », se dit le roi…pourtant, cela ne l’étonne guère intrinsèquement, Eldarion descend d’une lignée qui trouve ses racines à la fois chez les Hommes et chez les Elfes, il devait forcément en avoir hérité quelque chose…Elessar découvre là une facette de son fils qu’il ignorait. Eldarion se montre noble mais affable, disponible…toutes les qualités qui feront de lui un excellent roi…

Cependant, malgré cela, il sent en son fils une part d’ombre qui grandit…

 

Ithilien…

 

Eowyn, à sa fenêtre, regarde sa fille aînée galoper dans la prairie…Eolain fait corps avec son cheval, Tempestwind, tous deux se connaissent depuis l’enfance, depuis qu’Eomer en a fait cadeau à Eolain…ce cheval descend du cheval de Theoden, Nivacrin, et elle l’adore…comme ses ancêtres de Rohan, c’est une excellente cavalière.

Pourtant, même si elle semble heureuse, quelque chose soucie Eowyn à propos de sa fille…Eolain semble plus secrète, plus mélancolique…pourtant, elle sait qu’elle traverse son adolescence et que cela cause peut-être cette mélancolie, mais son instinct aiguisé lui fait deviner qu’il y a autre chose …Eolain n’est pas si renfermée de caractère, il a dû se passer quelque chose…

Mais Eowyn ne peut deviner que cette simple phrase qu’elle a dite à sa fille : « Accepte ton destin… » a réveillé les peurs les plus secrètes de l’adolescente. Eolain a soudainement réalisé qu’elle était une jeune fille noble qui approchait de l’âge d’être mariée, et cela la terrorise. Les préparatifs de sa robe de débutante signifient pour elle-à tort-que son père prépare l’agrément des prétendants, alors que Faramir n’y pense même pas encore…

Car Eowyn, en parlant du destin de sa fille, ne parlait absolument pas d’un mariage quelconque, mais de sa vie d’adulte à venir…même si elle ne passe pas forcément par le mariage…il est vrai qu’elle-même, à l’âge d’Eolain, n’y pensait absolument pas, et passait sa vie à chevaucher et s’entraîner à l’épée…ah, comme elle aurait souhaité que sa fille lui ressemble moins !

 

Palais de Minas Tirith…

 

En sueur, Eldarion se réveille…il vient encore d’avoir le même cauchemar, récurrent depuis plusieurs nuits…il se laisse retomber sur son lit et, les yeux grands ouverts, se dit que ce rêve signifie peut-être qu’il sera l’artisan de la mort de son père, ou qu’il mourra parce qu’il n’aura pu le protéger…il sait aussi que dans sa famille court le pouvoir de divination depuis des siècles, et que cela est sans doute un rêve prémonitoire qui présente ce qui aura lieu…

A cette pensée, les larmes lui viennent aux yeux, et il ne peut trouver le sommeil…sera-t-il un prince héritier à ce point faible que son père mourra par sa faute ? S’il en est ainsi, il doit partir, avant d’être l’artisan de la mort de son père…

En silence, il se lève, s’habille et s’emmitoufle, fixe son épée à sa ceinture, rassemble quelques vêtements et quelques objets chers, et quitte silencieusement sa chambre…il profite de la relève des gardes, des quelques minutes où le garde suivant n’a pas encore pris sa place devant sa porte pour sortir et courir silencieusement dans les couloirs jusqu’au bureau de son père…il se fabrique un sauf-conduit scellé, puis gagne les écuries, le cœur serré…il porte sa tunique aux armes du Gondor, proche de celle des messagers, ainsi qu’un chapeau sur la tête et une écharpe autour du bas du visage…il présente son sauf-conduit aux gardes qui, le prenant pour un messager, le laissent sortir du palais, puis de Minas Tirith…il se retourne, pense à ses parents, à sa famille, et les larmes lui viennent aux yeux mais il les réfrène vite, il fait cela pour sauver son père, et un prince de la maison d’Elendil ne pleure pas…Tournant résolument le dos à la Ville Blanche qui l’a vu naître, il lance son cheval en direction du fleuve Anduin…

 

La même nuit, Emyn Arnen…

 

Il est tard, mais Eolain ne peut dormir, trop accablée par les questions qui occupent son esprit…là-bas est suspendue sa robe de débutante, qui signifie pour elle tant de mauvaises choses. De plus, elle sait, car elle l’a lu, que le bal annuel sert surtout aux jeunes filles en âge d’être mariées d’être présentées à leurs potentiels prétendants, qui seront ensuite agréés ou non par le père…

Eolain refuse : elle ne veut pas se marier, quitter sa famille et devenir comme ces femmes qu’elle a déjà vues, sans substance, ne vivant que dans l’ombre de leur mari…jamais elle ne deviendra comme elles !

Elle se redresse, les yeux durs : sa décision est prise…elle doit quitter le palais de son père. Elle décide alors d’aller en Rohan, pays où elle sait que les femmes peuvent être les égales des hommes…son oncle et parrain Eomer l’y accueillera, sans aucun doute, et elle pourra le servir en combattant…

Silencieusement, elle prépare quelques affaires, suffisantes pour les quelques jours que dure la chevauchée jusqu’en Rohan mais transportables pour le cheval, et sort silencieusement de sa chambre…alors qu’elle arrive aux écuries, son cheval la reconnaît et hennit doucement, mais elle le caresse pour le faire taire et le harnache. Elle emballe ses sabots dans des tissus, et, par chance, s’aperçoit que le garde qui est censé surveiller la sortie est endormi…avec d’infinies précautions, elle passe à côté de lui avec son cheval, avance encore un peu, puis saute en selle et s’élance au triple galop en direction du Rohan…

 

Ni Eolain ni Eldarion ne savent qu’il vont rencontrer leur destin…

 

 

A suivre…